UN MONDE MEILLEUR À L’ACCÈS BIEN PROTÉGÉ, par François Leclerc

Billet invité.

Nous affinons la compréhension de notre monde mais sommes en retard d’une saison, ou plus, de la série dans laquelle nous sommes immergés, tributaires de l’image qui nous en est donnée et de son opacité. Certes, les banques sont devenues les grandes coupables aux yeux du grand public, mais la complexité du monde financier rend toujours aussi impénétrable ses mécanismes. Avec comme unique consolation que même ses experts ne s’y retrouvent pas.

Il a fallu attendre en 2011 une étude, totalement ignorée du grand public, pour avoir une image très éclairante de la concentration globale du pouvoir économique. Depuis, le thème de l’inégalité s’est imposé, en particulier aux États-Unis où il s’est manifesté avec le plus d’impact. Des chercheurs de l’Institut de Technology de Zürich ont publié cette année-là ce document dévoilant que 147 institutions financières contrôlaient directement ou indirectement 40% des 43.000 compagnies dont ils avaient étudié l’actionnariat. 737 d’entre elles en contrôlaient 80%. On attend la suite.

L’agence Moody’s, qui s’est déjà fait remarquer en analysant la progression de la dette mondiale sans faire le détail, c’est à dire publique et privée confondue, s’est tout dernièrement penchée sur les réserves de trésorerie des compagnies transnationales d’origine américaine. Le résultat est éloquent : les 50 plus importantes d’entre elles détiennent près de 1.100 milliards de dollars en cash à l’extérieur des États-Unis, ce qui représente 64% de leurs réserves.

À titre symbolique, Apple qui est devenu la première capitalisation boursière mondiale devant Alphabet (maison mère de Google), possède 10% de ce montant. Avec Cisco, Pfizer et Microsoft, ces deux dernières détiennent 439 milliards de dollars de réserves en cash. Les entreprises technologiques et du secteur de la santé, qui ont le vent en poupe en raison des perspectives offertes par l’Internet des objets et le Big Data, sont en tête du classement.

Cette accumulation a comme origine les profits qui ne sont pas rapatriés aux États-Unis pour éviter la taxation, localisés à la faveur d’artifices là où la fiscalité est la plus avantageuse. Telle est l’expression d’une optimisation fiscale à très grande échelle, permise par la loi américaine, dont la réforme se heurte au refus du Congrès où la vigilante Chambre de Commerce américaine veille, ce lobby en chef des grands intérêts. C’est aussi le résultat d’une politique d’emprunts obligataires soutenue qui profite des très bas taux d’intérêt. Selon Bloomberg, les émissions ne cessent de croître en volume, sans que cela ne se répercute sur l’investissement.

Que peuvent bien faire alors les entreprises d’une telle manne ? Choyant leurs actionnaires, elles y puisent pour verser des dividendes records quand elles ne rachètent pas leurs propres actions pour en faire monter la valeur. Elles font également leur marché en dynamisant celui des fusions-acquisitions, qui a repris, de nouveau en plein boom de concentration et de conquêtes de nouveaux marchés. Elles contribuent ainsi au renforcement d’un monde qui ignore les frontières et les pouvoirs politiques correspondants. Avec comme aboutissement à portée, de ne plus dépendre de leurs lois pour se réfugier dans des juridictions privées et complaisantes d’arbitrage.

Les traités internationaux en cours de négociation et d’adoption ont en commun d’avoir cet objectif et d’uniformiser en les nivelant par le bas les normes et les règles sociales, sanitaires et environnementales qui régissent notre vie. À la manière des institutions financières qui se faufilent dans la réglementation dès qu’elles ont détecté une de ses failles, les compagnies transnationales préparent l’avènement d’un monde meilleur – pour elles – et utilisent le traité Ceta avec le Canada comme Cheval de Troie, avec la complicité de François Hollande qui vient d’appeler à le mettre en œuvre.

Autre manifestation des mêmes intentions, mais dans un autre domaine, les députés français ont introduit en commission une obligation de reporting financier public par pays pour les multinationales, mais il ne concerne que les pays de l’Union européenne et les havres fiscaux d’une liste qui n’est pas encore établie, n’assurant pas la transparence revendiquée.

Notre description s’affine, mais nous restons sur le bord du chemin.